Serge Delaune Sacralisation – Profanation
15 septembre – 30 octobre 2015
galerie Anne Perré – 9 rue Eugène Dutuit – 76000 Rouen
Un cadavre qui n’a rien d’exquis, mais qui brille. Forcément immobile, on devine cependant qu’il fut alerte, vif et rapide. Ce qui brille, ce ne sont pas seulement ses éléments articulés mais l’absence de certains éléments essentiels au feu fonctionnement de l’ensemble. Posée sur le sol de la galerie Anne Perré à Rouen, à peine surélevée, l’oeuvre semble quémander ses premiers instants de calme. Les stigmates d’une vie agitée sont encore ancrés sur sa peau dure et froide. Noyés sous la peinture chromée, ils s’affichent à jamais comme la preuve d’un passé révolu.
Abîmé, cassé même, totalement inutile, nuisible à l’écologie de la planète dans son état antérieur, ce deux-roues aux pneus égarés qui diraient eux-mêmes une histoire plus longue encore que l’engin qu’ils équipaient, cette moto qui ne ratatouillait plus depuis longtemps, ce déplaçoir qui dut réveiller les bonnes âmes matinales, bref ce tas de tôle bon pour la ferraille est devenu un objet de sacralisation. Passé entre les mains de Serge Delaune, il revient dans le cycle de la marchandisation.
Il en va de même pour les corps nus que photographie l’artiste. Il les érafle, les lacère, les griffe jusqu’à leur ôter leur humanité, mais ces gestes forts leur offrent aussi une vie autonome qui accroît leur potentiel de marchandisation. Delaune explique ainsi sa démarche : « Les lieux contemporains de la sacralité et du profane se sont déplacés dans un même mouvement sur le corps et l’objet, dans un glissement qui brouille les lignes, inverse les paradigmes et installe la confusion. Il m’a paru intéressant de développer cet aspect de notre quotidien. C’est pour cela que j’ai tenu à exposer en même temps les photos de ces femmes nues et la moto. Corps et objets sont mis dos à dos, le corps dans sa marchandisation (esthétique, vente d’organes, esclavagisme moderne, pornographie…), l’objet en tant que création, designé, organique et muséifié. »
Malgré ces propos provocateurs bien qu’emprunts de réalité, Serge Delaune offre à son travail la « délicatesse poétique et plastique » qu’évoquait déjà Romain Duval à son sujet. C’est un point commun aux oeuvres de cet artiste depuis une vingtaine d’années. Qu’elles soient conceptuelles, dessinées, peintes ou sculptées, les créations de Serge Delaune sont nécessairement nimbées de cette « délicatesse poétique et plastique ». On ne saurait d’ailleurs évoquer son travail sans parler de sa texture. La « peau » dans l’oeuvre de Delaune occupe une place prépondérante. Qu’il s’agisse de sa mue en latex, des vielles couvertures de ses livres « Christ » que transperçaient de vaillants pieux de cristal, des cadres antiques qui cernaient les radiographies de crânes anonymes, des épidermes de ses modèles qu’il ne peut s’empêcher de rayer, raturer ou balafrer férocement, comme du cadre de sa terrible machine, la peau – cette matière qu’on peut toucher et qui touche l’âme en retour – est au coeur des travaux de l’artiste. Et c’est sans doute pour cela que son oeuvre nous émeut ainsi.
Emmanuel Pons
communiqué de presse
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