Interview d'artiste : T-KID 170
Julius Cavero, alias T-KID 170, est une figure emblématique de la scène Graffiti américaine. Ses personnages originaux, son lettrage novateur et coloré en ont fait l’un des street artists les plus connus.
Julius Cavero, alias T-KID 170, est une figure emblématique de la scène Graffiti américaine. Ses personnages originaux, son lettrage novateur et coloré en ont fait l’un des street artists les plus connus. De la culture hip-hop du Bronx des années 70 aux galeries d’art contemporain du monde entier, le graffeur a quitté la violence de la rue pour devenir cet artiste qui influence la peinture urbaine depuis plusieurs décennies. Pour Anne Perré, il revient sur son parcours et l’origine de son travail.
Quelle est l’origine de votre nom d’artiste, T-KID 170 ? Depuis tout petit, on m’appelle Big T. « Kid », c’était mon surnom de gang, j’étais le plus jeune de tous à cette époque. 170 est arrivé plus tard, en hommage à la rue dans laquelle j’ai vécu, la 170ème avenue dans le Bronx. J’ai commencé à taguer à douze ans et demi. Mon premier tag c’était « King13 ». Puis un jour, parce que je taguais sur leur territoire, des types d'un gang m'ont enrôlé. Je suis devenu T-KID 170 à l’âge de 16 ans, quand je me suis fait tirer dessus et que je me suis éloigné de la culture gang.
Pourquoi, jeune, graffiez-vous des trains ?
Parce que je ressentais une excitation face à un train, seul, c’était incroyable. L’autre raison qui me plaisait bien, c’était de voir mon graff' rouler en plein jour dans la ville. Je peignais toujours de nuit et, le lendemain, je guettais pour voir s’il allait passer.
Comment vous êtes-vous démarqué des autres graffeurs ?
Techniquement ! Ce que je faisais était vraiment ce qu’il y avait de mieux à cette époque où tout était encore à inventer. J’avais une base solide, héritée des mecs avant moi, plus old-school.. Dans mon travail, ce qui ressort, ce sont les couleurs. Les couleurs que j’utilisais étaient, pour l’époque, très vives et puissantes. Tout comme le message que j’essayais de faire passer.
Comment peut-on qualifier votre style ?
Flow style ! Ça incorpore le fait d’être wild style, de pouvoir faire toutes sortes de lettres et formes délirantes, mais, en même temps, d’avoir un flow, un rythme, que tout prenne sens et qu’on puisse voir, en regardant la pièce, le chemin parcouru, comme un voyage du début à la fin de la création. C’est plus qu’une image. Le flow style se résume ainsi, vivre l’esprit du wild style.
Faites-vous toujours une esquisse avant chaque création grand-format ?
Quand je peins un mur ou un wagon de train, je laisse juste les choses arriver au fur et à mesure. C’est les sensations qui sont importantes, qui rendent la chose vraie et pure. Si on me commande une œuvre spécifique, là en revanche j’utilise un croquis pour savoir où je vais.
Pourquoi peignez-vous si souvent votre petit bonhomme ?
J’ai des personnages récurrents, le Yo-Man et le Can-Man. Le Yo-Man symbolise la culture hip-hop et ce que j’étais à l’époque quand je faisais du break-dance : un B-boy*. Plus tard, j’ai peint le Can-Man, cette bombe de peinture, très cool. Il représente plus le graffiti dans sa globalité, qui je suis : le Yo-Man, mais sous les traits d’une bombe de peinture, prêt à peindre n’importe où, n’importe quoi ! (* B-Boy : expression désignant une jeune personne dévouée au break dance et à la culture hip-hop)
Créez-vous parfois avec d’autres artistes ?
Oui, ça arrive souvent. Je rentre tout juste des Pays-Bas où j’ai travaillé avec Skeam de TNT Crew, Part1. de TDA West et Slay, des Fabulous 5. On a réalisé plusieurs fresques et peint un immense wagon de train construit pour cette expo On Frames.
Vous possédez des œuvres d’autres artistes ?
Oui, des œuvres de Phase 2, Padre Dos, Crash, Hayes… J’ai aussi des carnets d’époque dans lesquels tout le monde a dessiné : LA-II, Basquiat, Keith Haring…
Vous les avez bien connus ?
Vous est-il arrivé de travailler avec eux ? Keith, je le connaissais bien. J’étais un peu en rogne contre lui à une époque, à cause d’une interview dans laquelle il racontait qu’il « bossait des trains ». Je suis allé le voir direct pour lui rappeler qu’il ne peignait pas des trains, mais qu’il peignait à l’extérieur des trains ! Son truc à lui, c’étaient les panneaux d’affichage dans la gare, ce qui est totalement différent, donc il n’avait pas à s’approprier ça. C’était emblématique d’une culture totalement différente à la sienne, c’était celle du Bronx ! Mais c’était un mec intéressant et cool ; on n’était pas les meilleurs amis du monde, mais on se retrouvait parfois dans les mêmes clubs comme l’Area, le Lime Light. Au-delà d’être cool, il était surtout très bon dans ce qu’il faisait. Je n’ai jamais travaillé avec lui, mais j’ai graffé avec son partenaire LA-II, car lui faisait des trains. C’est d’ailleurs ce type qui lui a donné l’idée de faire son petit personnage rampant et autres trucs. C’est ce mec qui a influencé son style. Basquiat, je le connaissais moins, mais on se voyait de temps en temps. On se croisait dans des galeries où il exposait mais on ne venait pas du même quartier, il ne faisait pas beaucoup de tags et se limitait au lower east side, où il faisait d’ailleurs plus des collages que du tag.
Qu’est-ce que ça vous fait de savoir que vous faites partie de ceux qui ont créé l’art graffiti ?
Je suis très fier d’être reconnu comme l’un des fondateurs de l’art graffiti, de faire partie de ce petit groupe. Nous sommes à l’origine de l’essentiel de ce que la nouvelle génération fait, nous avons posé les bases de cet art toujours en expansion. Là où il n’y avait rien, nous avons construit une route que de nouveaux artistes empruntent pour ensuite suivre leur propre chemin.
Commentaires
Laisse ton commentaire