Alfonse, Paul et les autres… - Mont-Saint-Michel boogie-woogie
19 mars – 30 avril 2015
galerie Anne Perré – 9 rue Eugène Dutuit – 76000 Rouen
Alfonse, Paul et les autres… Etude pour Mont-Saint-Michel boogie-woogie, technique mixte sur papier marouflé sur bois, 46 x 73 cm, 2014. Photo : Fabien Marques.
« Alfonse, Paul et les autres, artiste solo au nom collectif, exploite le potentiel plastique de cette identité en tension. De la frontalité des images pornographiques d’Alfonse Dagada à la mièvrerie lénifiante des reproductions de chats de Paul Martin, du milieu underground à la société de consommation, cette œuvre fortement contrastée mobilise des imaginaires antagonistes, dont l’artiste cherche à révéler le même conformisme sous-jacent. En empruntant ses modèles aux représentations consensuelles trouvées sur Internet (les clichés érotiques, touristiques ou naturalistes), Alfonse, Paul et les autres met en question la façon dont le partage massif d’une imagerie synchronise les projections individuelles et annule l’expression de leurs singularités. Iconographie du trivial, du consommatoire et du vulgaire, ces figures relèvent en effet de constructions fantasmatiques stéréotypées, donc aseptisées, avec lesquelles l’art peut, sinon doit, installer une distance critique. Sans cynisme, affichant même une candeur enfantine, il décontextualise les représentations impersonnelles pour en réorienter la lecture et déploie à cette fin une esthétique du bricolage apparent qui en souligne le caractère artificiel. Ses wall paintings, installations graphiques et sculpturales, ont ainsi l’allure de rebus édulcorés au sein desquels les réflexes narratifs sont comme domestiqués, déjoués, puis reconduits. Sous une apparente inoffensivité, le plasticien procède à des mélanges de genres licencieux, à des changements d’échelles nets et à un travail de recoloration appuyé qui déconstruisent les normes habituelles de lecture. Une scène de gonzo dessinée au crayon de couleur pour enfants, un tabouret IKEA devenu mobilier-sextoy IqueueA et un pavillon résidentiel attaqué par un dinosaure agissent comme autant de moyens de tourner en dérision l’usage des tabous sexuels, les tendances normatives du désir et les obsessions sécuritaires du public. S’élevant contre l’instrumentalisation de la vie pulsionnelle par les médias, Alfonse, Paul et les autres compte sur ce que l’énergie libidinale offre de plus plastique pour réinterpréter les iconographies populaires.
Pour « Mont-Saint-Michel boogie-woogie », sa nouvelle exposition à la galerie Anne Perré, Alfonse, Paul et les autres mobilise toutes les expressions de cette identité multiple, nivelant dans sa composition stéréotypes sexuels, motifs animaliers et simulations architecturales. Le renversement des marqueurs de genre et les contrepoints esthétiques organisent ici des rencontres improbables entre des objets fétichisés. Les représentations de l’hyper-virilité s’affrontent entre elles — un trio gay body-buildé, figure auto-érotique, contraste avec John Wayne à cheval, symbole phallique hétérocentré — tout comme l’utilisation d’images extraites d’un logiciel de simulation d’architecture, loisir considéré comme masculin, tranche radicalement avec le choix du rose girly. Organisé autour de la figure du Mont-Saint-Michel, le dessin cristallise un poncif régionaliste, condamné par son statut de monument historique à peu évoluer, en même temps qu’il évoque un lieu disciplinaire, l’abbaye, métaphore de l’enfermement des représentations. Les masseuses, présentées en grappe, agissent elles comme un contre-modèle à la tradition des nymphes ou des grâces, d’autant que le cadrage, qui leur coupe le visage, semble les ravaler au rang de chair anonyme. Loin de chercher à s’approprier ces icônes du quotidien, Alfonse, Paul et les autres surjoue au contraire leur impersonnalité, jusque dans le choix de couleurs consensuelles, à l’image de ce fond vert « jungle » qui fait liant, en réponse à son succès dans les magasins de décoration.
Au-delà de sa consonance kitsch, Alfonse, Paul et les autres retient du «boogie-woogie» la dimension d’improvisation, la capacité à désorganiser de manière intuitive une trame déjà installée. Dans une forme brute, refusant l’adresse et la précision, le plasticien valorise les accidents graphiques, les erreurs de trajectoires et les défauts d’échelle pour renforcer l’idée d’un travail d’amateur. Cette facture de trait, apparemment expressionniste, ne sert pourtant pas le projet d’une réappropriation personnelle des modèles. Les juxtapositions de traits lui permettent d’affiner son travail de coloriste, mais encore de symboliser la juxtaposition des couches interprétatives, le processus de sédimentation qui préside au fantasme. Travaillant dans l’urgence, dans une temporalité proche de celle de la performance, Alfonse, Paul et les autres réalise ses pièces avec une extrême rapidité, quitte à maltraiter le support, qu’il rafistole et rapièce ensuite. Réalisés principalement à l’aide d’outils très simples (crayons, stylos à bille et encres), les dessins présentent des anomalies d’impression assumées, laissent apparaître les attaches parisiennes, les coulées de peinture et les traces grossières de découpe au cutter. Cette esthétique du bricolage concourt in fine à désamorcer tout processus de sublimation esthétisante: les images sont renvoyées à leur seule matérialité et leurs évocations à la facticité du bricolage mental. »
Florian Gaité, 2015
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